Pensées

L’entrée au bain

3 octobre 2018

La démarche est mal assurée. Les pieds hésitent, à la recherche d’un appui stable qu’ils ne trouvent pas. La surface dure et brûlante des galets s’enfonce dans la chair, et l’on grimace à chaque pas, gesticulant, les genoux fléchis, les bras ouverts pour garder l’équilibre. Une pantomime comique, qui serait ridicule partout ailleurs qu’ici, à Nice.

C’est presque en dégringolant que l’on arrive dans l’eau. On reste un instant là, debout, les mains sur les hanches, planté face à l’horizon. C’est le plein été, la chaleur est suffocante, même tôt le matin. Et pourtant, par contraste, l’eau parait désagréablement froide. Alors on hésite un peu à aller plus loin. On regarde briller les milliards de petites particules de lumière sur la surface ondoyante, et l’éclat des ongles rouges qui ressortent vifs sur le bleu turquoise.

Puis le numéro d’équilibriste reprend, parce qu’on ne peut quand même pas rester planté ainsi trop longtemps. On s’enfonce lentement dans l’eau, qui grimpe jusqu’aux genoux, jusqu’aux cuisses. Brusquement, une vague mal anticipée vient nous éclabousser jusqu’au nombril. Ou bien c’est un galet mal placé qui nous fait perdre l’équilibre. C’est le signal, il faut se lancer. 1, 2, 3…. Le souffle se coupe, un millième de secondes. Chair de poule, furtive.

Quelques brasses et le corps se détend finalement, heureux de cette fraicheur inespérée. Très vite, on n’a plus pied, le sol descend d’un coup en flèche à quatre, six mètres de profondeur. Des bancs de minuscules poissons argentés brillent comme des lucioles dans le bleu sous-marin. L’eau glisse sur la peau, chaude à la surface, lisse et douce comme de la soie.

On garde le meilleur pour la fin : mettre la tête sous l’eau. Une première immersion, très rapide, familiarise avec la sensation du froid qui entre dans les oreilles et enrobe le crâne. Puis, l’on ose une longue apnée, les yeux fermés. Tout se tait alors. Les cris perçants des enfants, les éclats de rire brusques qui éclatent comment des bulles, les moteurs des bateaux qui tirent des parachutes très haut dans le ciel, les vendeurs de Coca, Coca light, Sprite, Orangina !, les sirènes des ambulances qui déchirent l’air sur la Promenade des Anglais. Se taisent aussi les rumeurs plus lointaines de la vieille ville, vendeurs de glaces aux mille parfums, chocs des assiettes dans les restaurants, tubes de l’été qui résonnent dans les ruelles, pneus qui crissent, joyeux brouhaha, cosmopolite et coloré. Tout cela cesse, s’engloutit dans les profondeurs marines, où ne règnent que le silence et le bruit apaisant du roulis des cailloux emportés par les vagues.

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