En Alsace, il existe une cathédrale gothique immensément haute ; si haute qu’elle a un temps surpassé par sa taille tous les monuments du monde. Si haute qu’on l’apercevrait même depuis les Vosges et la Forêt Noire. On la trouve tout au bout de la rue Mercière à Strasbourg, sur une petite place, presque au raz des maisons qui l’entourent. A la nuit tombée on entend parfois, s’échappant des profondeurs de cette grande bâtisse de pierre, le son de l’orgue résonnant dans l’obscurité.
En Alsace, on mange beaucoup, et on boit beaucoup. Derrière les vitraux colorés des winstubs, les plats défilent : choucroutes garnies, baeckoffe, tartes à l’oignon, tartes flambées, cordons bleus, spätzles et bibeleskaes mêlent leurs saveurs aux délicieux arômes d’un Riesling, d’un pinot gris ou d’un Gewurztramminer servis dans une coupe au pied vert.
En Alsace, les rues des villes ont des noms étranges : rue des Veaux, rue des Soeurs, rue des Têtes, rue des Brûlés, chemin de l’Anguille, rue de l’ail, rue de la Cigogne, rue des Oies… Quelles aventures passées nous racontent ces noms ? Rue des cheveux, j’imagine une enfilade bruyante de barbiers et des montagnes de cheveux s’amoncelant sur les pas de porte, ou bien, accoudée à une fenêtre, une belle jeune fille, pressée de mille prétendants, dont l’immense chevelure aurait donné son nom à la rue.
En Alsace, des châteaux forts perchés sur des hauts massifs rocheux surplombent les plaines, et leurs salles basses et obscures nous plongent dans de vieilles histoires aux accents moyenâgeux.
En Alsace, les maisons à colombage ont des toits pentus sur lesquels viennent nicher les cigognes. On a envie de toutes les habiter. Derrière leurs jolis rideaux se cachent certainement des intérieurs moelleux et boisés, de gros fauteuils confortables, du feu dans une cheminée, des poutres au plafond, des nappes à carreaux, et des escaliers qui craquent.
En Alsace, la campagne n’est jamais loin de la ville. Les rives de l’Ill, ombragées et bucoliques, serpentent paresseusement au cœur de Strasbourg, et donnent à la capitale de l’Alsace des airs de village.
Ce joli pays aux airs de conte est la terre d’origine de ma grand-mère et le point d’ancrage de toute la genèse familiale. C’est à Strasbourg que ma grand-mère a pour la première fois croisé le regard de ce beau et timide savoyard aux « yeux bleus, bleus, si bleus ! » qui allait devenir mon grand-père. De sa région natale, ma grand-mère a toujours conservé un léger accent, savamment entretenu, des exclamations alsaciennes qui lui valaient toujours un franc succès, la nostalgie du pays qu’elle aime désigner par le joli mot de « heimweh », et la fière et constante affirmation de son identité alsacienne.
Quant à moi, je n’ai jamais connu de Noël sans brädele ni spritz, et j’ai souvent chanté « Mon beau Sapin » en alsacien. Je n’ai jamais connu de vacances de la Toussaint sans choucroute. J’ai englouti des kilogrammes de kougelhopf, dont je mets systématiquement de côté les raisins secs. J’ai été la « fraülein », de ma grand-mère et j’ai choisi d’apprendre l’allemand en seconde langue. L’Alsace ne sera jamais pour moi seulement une belle région de France ; c’est une magnifique région dans laquelle est tissée un petit bout de mon histoire.
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