L'autre Paris

La voie ferrée

29 avril 2018

La frontière du 19ème arrondissement de Paris est délimitée, sur une partie de son flanc ouest, par une voie ferrée. Un enchevêtrement de rails, de fils électriques, et une forêt de poteaux. Un champ immense de lignes horizontales et verticales qui se croisent dans le plus grand désordre.

Parfois, un train s’avance et vient se dandiner maladroitement et bruyamment le long des voies, en direction de la  Gare de l’Est. D’où vient-il ? Quelles vies transporte-t-il ? Vers quels ailleurs va-t-il ensuite repartir ? Dans le soleil couchant d’une froide journée d’hiver, on croirait presque voir apparaître le transibérien et l’on pense à la promesse de grands voyages, au défilement des paysages, au coup de sifflet qui retentit dans la gare et signale le départ, aux portières qui claquent et au grincement des roues sur les rails. Aux adieux sur les quais, aux histoires qui se terminent et à celles qui commencent.

Une voie ferrée, c’est un vide que vient remplir l’imaginaire. Un ici et un ailleurs à la fois. Un no man’s land plongé dans un sommeil de mort et traversé ponctuellement de bruit et de fureur.

De part et d’autre de la voie, la vie s’organise. Côté 18ème, la halle Pajol, ancienne « messagerie de l’Est », devenue friche industrielle et réhabilitée en 2013, dresse fièrement ses panneaux solaires vers le ciel. Immense vaisseau de bois et de métal perdu dans le quartier de La Chapelle, la halle est l’incarnation d’un certain art de vivre, mélange d’écologie, de culture, de coworking, de solidarité, de vélos, de jardins et de terrasses ensoleillées. Au Jardin Rosa Luxembourg, on profite des dernières heures du jour, on joue au ping-pong, on se dégourdit les jambes, on se raconte les dernières nouvelles. Une certaine vision du bonheur en collectivité, pas loin de l’utopie urbaine. Un peu plus loin, le quartier de l’Olive et sa jolie halle en fer forgée donnent à Paris des airs de village.

Côté 19ème, les jardins d’Eole. Ce n’est plus au transibérien que l’on pense ici, mais aux jardins suspendus de Babylone. Derrière les voies, derrière les trains et les jardins, derrière les toits hérissés de la halle Pajol, loin, très loin dans la lumière dorée du soir, se dessine la silhouette du Sacré Cœur qui semble veiller sur nous. On se sent un peu à l’écart ici, comme dans un autre Paris.

Les gamins du quartier jouent au basket et au foot sur fond de hip-hop et de murs graffés. Même douceur de vivre que du côté 18ème, mêmes familles qui profitent du bonheur d’être ensemble, même impression de paix.

Pour traverser les voies, il faut emprunter le « pont Riquet ». Un petit pont au joli grillage bleu et aux murs entièrement recouverts de fresques de street-art. Un pont-œuvre d’art, un pont-jonction.

De là, le regard peut se perdre dans le lointain, suivre les rails en direction de Paris ou de sa périphérie et écouter les rumeurs de la ville. Ou simplement rester dans cet entre-deux bleu, sur ce petit pont suspendu où, comme les trains, les gens filent vers leur destin.

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